A propos de lectures, de miroir et d'ombres
Alice dans la pièce au miroir, illustration de John Tenniel pour De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll,
Lorsqu'on me demande d'expliquer ce qu'est la bibliothérapie, on m' interrompt souvent en disant : "Ah, donc c'est un cercle de lecture !". Eh bien, non, je réponds... et j'aurais envie d'ajouter : "Si tu me laissais terminer..."
Je vais donc expliquer brièvement ce qu'est et ce que n'est pas la bibliothérapie en la comparant d'abord aux cercles (ou clubs) de lecture.
Avez-vous déjà participé à un club de lecture ? Un livre vous est proposé, vous avez le temps de le lire avant la prochaine réunion et... on discute du livre, de son style, de ce que l'on a apprécié ou non. Ainsi, l'attention est entièrement portée sur l'œuvre, l'auteur et les personnages à travers les impressions et les ressentis de chacun.
Même chose dans un atelier de bibliothérapie : le "facilitateur" (le bibliothérapeute) vous assigne la lecture d'un roman, mais lors de la séance suivante, les projecteurs sont braqués sur vous ! Au cours de la session, vous êtes guidés à travers des questions, des associations et l'analyse de vos sentiments (positifs et négatifs) pour mettre en lumière les zones d'ombre, les émotions plus ou moins dissimulées. Peu importe si le livre vous a plu ou non, l'essentiel réside ailleurs.
D'ailleurs, la lecture n'est pas aussi simple qu'elle semble l'être, comme je le souligne lors de mes présentations sur la Bibliothérapie : Lire est une activité complexe et l'être humain n'est pas naturellement programmé pour lire. Bien que les humains possèdent des gènes et des zones cérébrales dédiées au langage, ils ne disposent pas de structures spécifiquement conçues pour la lecture 1
En lisant, notre conscience, représentée par l'Ego en psychologie, se concentre entièrement sur la compréhension du texte, tandis que notre inconscient, le Soi, est imprégné par les images évoquées par la lecture.
Ce sont ces images qui nous touchent profondément, parfois nous donnant du bien être et parfois nous dérangent, mais, après avoir lu, si notre ego prend le contrôle et cherche à rationaliser nos réactions, nous risquons de passer à côté du potentiel bénéfique d'une lecture plus instinctive.
Cependant, c'est cette part inconsciente, plus que le côté rationnel et érudit, qui nous pousse à mettre de côté certains auteurs et surtout certains genres littéraires, et à nous attacher à d'autres.
Bref, le Soi cherche à conserver les images évoquées par une lecture qui nous procure du bien-être. C'est ainsi que l'on devient passionnés par le genre ou l'auteur qui a suscité ces émotions (peu importe l'avis des esprits cartésiens qui prétendaient savoir analyser les œuvres et les juger pour leur valeur artistique et littéraire).
Alors, pourquoi ces images nous procurent-elles du bien-être ou nous dérangent-elles ? Et comment pouvons-nous découvrir le sens profond de nos réactions à une lecture ?
Il est essentiel de se poser des questions, de réfléchir sur les raisons pour lesquelles nous apprécions ou non un auteur ou un livre, et surtout de se demander : « Pourquoi ce roman me touche-t-il autant ? En quoi résonne-t-il en moi ? Que révèle-t-il de ma personne ? »
Et maintenant, le projecteur est enfin braqué sur nous !
Il est probable que trouver des réponses ne sera pas simple, mais c'est là que réside toute la valeur d'une participation à des ateliers de bibliothérapie. La lecture bibliothérapeutique nécessite une approche particulière : elle consiste à utiliser l'histoire du livre que nous tenons entre nos mains pour réfléchir – ou plutôt se refléter – dans un jeu de miroirs dirigés vers nous-mêmes.
Et cette lecture active nous permet de faire face à un roman en intériorisant des situations, des émotions, des personnages et en nous permettant, grâce à des « neurones miroirs » 2, de nous approprier ce matériau narratif et de le réélaborer.
Si un roman agit comme un miroir, nous pouvons le traverser tel Alice 3 franchissant ainsi le seuil entre le conscient et le subconscient.
À partir de cette réflexion autour du miroir, une autre idée qui m'a toujours captivée m'est venue : la présence de l'archétype Ombre dans les romans.
Qu'est-ce que l'archétype de l'Ombre exactement ?
L'archétype Ombre est un concept clé de la psychologie des profondeurs de Carl Gustav Jung. Bien que je ne sois pas psychologue, je vais expliquer en quelques lignes ce que cela représente.
Pour simplifier, l'Ombre est une partie de nous-mêmes qui regroupe toutes les caractéristiques que chaque individu a appris à considérer comme inadéquates, erronées, ou à cacher aux autres en interagissant avec son environnement social et en se comparant aux autres au fil de sa vie. Ces pensées, sentiments et actions qui suscitaient la honte ont été relégués dans notre Ombre au fil du temps.
« Nous possédons tous une part, plus ou moins importante, d'Ombre en nous, et il est naturel de l'avoir. Cependant, il est crucial de ne pas sous-estimer que cette Ombre devient plus imposante et menaçante si elle est moins consciente. Ainsi, il est essentiel de prendre conscience de sa présence, de se familiariser avec cette facette "sombre" de nous-mêmes et d'engager le dialogue avec elle.
La pire action que nous pouvons entreprendre est de tenter de dissimuler l'ombre sous le tapis, de la dissimuler avec du maquillage pour la faire disparaître, de refuser catégoriquement sa présence. Ignorer l'Ombre, c'est lui permettre de persister dans l'inconscient.” 4
À partir de là, j'ai développé mon concept et mis en place un parcours de Bibliothérapie sur l'Ombre et le Miroir.
Comme de nouvelles Alice, ce parcours nous emmènera à traverser cet écran/miroir qui nous sépare d'un monde parallèle et inversé, où nous pourrions rencontrer nos doubles cachés ou des jumeaux obscurs, étranges et mystérieux.
La littérature classique, le genre fantastique et « gothique » sans négliger la littérature de l'horreur, regorgent de personnages sombres, effrayants et mystérieux. Ainsi, c'est en explorant ces voies littéraires que nous tenterons de saisir comment les émotions engendrées par la peur et le mystère influent sur nous.
Prépare-toi pour un voyage fascinant de l'autre côté du miroir ! Découvre des récits miroirs mettant en scène des personnages énigmatiques, des doubles ou des jumeaux sombres, étranges et mystérieux. Et si, en réalité, ces créatures mystérieuses n'étaient que le reflet caché de notre propre essence, à explorer et à accueillir pour les ramener à la lumière ?
« On ne s'illumine pas en imaginant des figures de lumière, mais en rendant les ténèbres conscientes. . Qui regarde l’extérieur, rêve. Qui regarde en lui-même, s’éveille. ” Carl Gustav Jung
Silvia Vannozzi
notes :
voir Marianne Wolf « Proust et le calmar » Éd. Abeille et castor
https://www.learningbrain.be/blog/les-neurones-miroirs/
voir « Les Neurones miroirs de Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia, Odile Jacob,. 2008 - 240 pages
3 voir Alice de l’autre côté du miroir de Lewis Carrol https://www.babelio.com/livres/Carroll-Alice--De-lautre-cote-du-miroir/429178
Cette partie de la définition de l’Ombre je la dois à Rachele Bindi - psychologue, bibliothérapeute et formatrice en bibliothérapie en Italie, et ma formatrice - et plus particulièrement elle est ma traduction d’un extrait de son livre « I Libri che fanno la felicità » ed. Vallardi
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